Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

L'Église n'était pas au fait des allégations contre le père Rivoire, dit une enquête

durée 15h19
19 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

Une enquête indépendante portant sur le père oblat accusé d'avoir agressé sexuellement des enfants inuits au Nunavut conclut que la congrégation catholique n'était pas au courant de ces allégations lorsque Joannès Rivoire est rentré en France.

Le juge à la retraite de la Cour supérieure André Denis a dirigé l'enquête, à la demande des Oblats de Marie-Immaculée («OMI Lacombe Canada») et des Oblats de la Province de France.

M. Denis a découvert que les Oblats de Marie Immaculée ne savaient pas que le père Rivoire faisait l'objet d'une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lorsque le prêtre est rentré en France en 1993.

Le juge retraité conclut aussi que cette congrégation religieuse n'a pas été contactée par la GRC lorsque des accusations ont été portées au Canada cinq ans plus tard.

Le rapport de l'«enquête-vérité-réconciliation» indique que les Oblats de France ont eu connaissance des accusations en 2013, grâce à un article de journal en ligne.

Dans son rapport final rendu public mardi, le juge retraité Denis écrit que «Joannès Rivoire n’a pas dit toute la vérité à ses supérieurs, à ses confrères, aux Inuits dont il avait la charge pastorale».

«Et lui-même nie une réalité qui est pourtant démontrée», affirme M. Denis.

Le père Rivoire, aujourd'hui âgé de 93 ans, a toujours refusé de revenir au Canada depuis qu'un mandat d'arrêt a été lancé contre lui en 1998. Il a fait face à au moins trois accusations d'agressions sexuelles qui auraient été commises dans les communautés d'Arviat, de Rankin Inlet et de Naujaat, au Nunavut. Plus de vingt ans après leur dépôt, les accusations ont été suspendues.

Un autre mandat d'arrêt a été lancé contre Rivoire en 2022 pour une accusation d'«attentat à la pudeur» impliquant une jeune fille à Arviat et Whale Cove entre 1974 et 1979. Les autorités françaises ont toujours rejeté la demande d'extradition du Canada.

Il refuse de faire face à la justice

Les dirigeants et politiciens inuits ont exhorté le père oblat à venir au Canada pour subir son procès, et la pression s’est accrue sur la congrégation religieuse pour qu’elle fournisse des réponses sur ce qu'elle avait fait dans ces dossiers.

L'année dernière, les Oblats de Marie Immaculée, OMI Lacombe Canada et les Oblats de la Province de France ont nommé le juge retraité Denis pour jeter un «éclairage indépendant sur le départ du Canada vers la France en 1993 de Joannès Rivoire».

M. Denis avait déjà été chargé par l'archidiocèse de Montréal en 2020 d'examiner les allégations d'agressions sexuelles de mineurs et d'adultes vulnérables dans neuf diocèses du Québec. Et le pape François a chargé le juge à la retraite plus tôt ce mois-ci d'enquêter sur des allégations d'inconduites sexuelles visant le cardinal Cyprien Lacroix, archevêque de Québec.

M. Denis affirme dans son rapport que ses conclusions sur le père Rivoire ne remplacent pas un procès criminel. Cependant, sur la base de la «prépondérance des preuves», l'enquête du juge retraité soutient les allégations selon lesquelles Rivoire aurait agressé six enfants au Nunavut.

L'enquête a également trouvé des preuves d'une autre victime inuite entre 1968 et 1970, bien qu'aucune plainte n'ait été déposée dans ce cas.

Joannès Rivoire a nié toutes les allégations portées contre lui, et aucune n'a été prouvée devant un tribunal.

«Je ne suis pas innocent»

Lorsque les Oblats de France ont confronté le père Rivoire 15 ans après le dépôt des accusations au Canada, il a dit à un autre prêtre en France, en décembre 2013, qu'il «n'était pas innocent» et que «dans le milieu esquimau [sic], les enfants recherchaient de la tendresse qu’ils n’avaient pas dans leur famille», lit-on dans le rapport d'enquête.

«Si je ne suis pas innocent, les enfants ne le sont pas non plus, mais ça, on ne le dit pas», aurait affirmé Rivoire au père oblat qui le rencontrait pour «entendre sa version des faits».

M. Denis a rencontré Rivoire en France l'année dernière. Le prêtre a clamé son innocence, indique le rapport, mais il a reconnu avoir eu une relation sexuelle «avec une femme majeure inuite» .

Joannès Rivoire était arrivé au Canada en 1959. Il est resté dans le Grand Nord jusqu'en janvier 1993, date à laquelle il a annoncé à ses supérieurs qu'il devait retourner en France pour prendre soin de ses parents âgés.

Le même mois, quatre personnes se sont rendues à la GRC au Nunavut pour l'accuser d'agressions sexuelles.

M. Denis écrit qu'il est possible que des rumeurs sur le comportement du prêtre soient à l'origine de son départ, mais cette information n'a pas été partagée avec la congrégation.

«Il a choisi le moyen commode, d’autant que véridique, d’une aide à ses parents malades pour quitter le Canada, écrit M. Denis. Il n’a pas tout dit.»

Le juge retraité a parlé à certains des plaignants et aux membres des familles de ceux qui sont décédés depuis. Ils ont évoqué des traumatismes et des douleurs persistantes. Plusieurs croyaient que les Oblats avaient joué un rôle dans le départ de Rivoire, indique le rapport d'enquête.

Or, M. Denis dit avoir examiné de nombreux dossiers des Oblats du Canada, de France et de Rome, et il s’est également entretenu avec des responsables de l’Église de l’époque. Il n'a trouvé aucune preuve que l'Église était au courant des allégations ou qu'elle a joué un rôle dans la fuite de Rivoire en France.

Pas au courant

Le rapport indique que ni les accusations de 1998 ni le mandat d'arrêt n'ont été signifiés à Rivoire, qui était déjà parti, ou aux Oblats. Il y a eu une ordonnance de non-publication et l'affaire n'a pas été rendue publique. L'année suivante, la GRC a informé un diocèse du Nord d'une enquête et a fourni les coordonnées de Rivoire en France.

«De fait, la GRC n’a entretenu aucune communication avec les Oblats et ne les a prévenus de quoi que ce soit tout au long du processus judiciaire, écrit M. Denis. Même chose pour les plaignants.»

Lorsque les Oblats furent informés des poursuites pénales canadiennes, Rivoire se vit interdire d'exercer un ministère public. Les Oblats du Canada et de France ont ensuite exhorté à plusieurs reprises Rivoire à faire face aux accusations, mais il a toujours refusé.

Les Oblats du Canada et de France ont également fait appel aux autorités à Rome pour qu'elles entament une procédure de renvoi du père Rivoire, mais il a été décidé plus tôt cette année que le prêtre pouvait rester membre de la congrégation.

M. Denis «suggère respectueusement au Supérieur général des Oblats à Rome de revoir sa décision et de permettre l’exclusion de Joannès Rivoire de la communauté oblate de France».

Selon le rapport, cela n'apporterait pas la justice que souhaitent les familles inuites, mais cela pourrait au moins apporter un certain baume sur les plaies.

«Mesure largement symbolique puisque (...) il n’est pas question de jeter Joannès Rivoire à la rue. Il pourrait demeurer là où il est, mais hors de la communauté des Oblats», ajoute M. Denis.

Le révérend Ken Thorson, des Oblats de Marie Immaculée au Canada, a indiqué dans un communiqué que rien ne peut inverser «les dommages et l'héritage tragique des abus commis par des membres du clergé».

«Nous espérons que ce rapport apportera une forme de reconnaissance à ceux qui ont été réduits au silence et ignorés à d'innombrables reprises par de nombreuses institutions et figures d'autorité dans l'ensemble du pays», conclut le provincial des Oblats du Canada.

Kelly Geraldine Malone, La Presse Canadienne