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Les élus tiennent à la concurrence, mais ne touchent pas à la gestion de l'offre

durée 12h32
13 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Il n’y a pas beaucoup de dossiers qui recueillent l'appui de tous les partis à Ottawa ces jours-ci.

Mais un de ceux-là, c'est assurément le système de gestion de l'offre pour les produits laitiers, les œufs et la volaille – le mécanisme qui fixe les prix pour les producteurs. 

Le soutien politique en faveur de ce cadre agricole, par ailleurs controversé dans certains milieux, se maintient au fil du temps, malgré la hausse actuelle des prix des aliments et ceux qui persistent à soutenir que ce sont les consommateurs canadiens qui en paient le prix au bout du compte.

C'est pourquoi Ryan Cardwell, professeur d'agroéconomie à l'Université du Manitoba, n'accorde pas beaucoup d'importance à ce que les élus ont à dire sur ce sujet. «D'un côté, ils parlent de prix abordables des aliments, et de l'autre, ils ont un cartel sanctionné par le gouvernement sur les aliments de base, dit-il. Donc, ce sont des paroles. Je n'y accorde pas beaucoup de crédit.»

Le système de gestion de l'offre fixe les prix des produits et contrôle la production nationale et les importations, afin de protéger les agriculteurs canadiens de la concurrence étrangère, pour se prémunir contre la volatilité des prix des produits et stabiliser les niveaux de production.

Mis en place pour la première fois dans l'industrie laitière dans les années 1960, avant de s'étendre aux œufs et à la volaille, le système existe en lieu et place des subventions gouvernementales, courantes dans le secteur agricole partout ailleurs dans le monde.

Les partisans de la gestion de l’offre affirment que ce système profite aux producteurs aussi bien qu'aux consommateurs: il offre à la fois stabilité et prévisibilité des prix et de la production.

Mais certains économistes plaident que ce système étouffe la concurrence. Et la théorie économique veut qu’une plus grande concurrence entraîne généralement une baisse des prix.

La forte hausse des prix des aliments après la pandémie a conduit à une surveillance plus étroite des grandes chaînes de supermarchés — et a suscité des inquiétudes quant au manque de concurrence dans ce secteur. Le gouvernement libéral a récemment présenté des modifications à la Loi sur la concurrence, en partie pour répondre à ces préoccupations.

Concurrence des supermarchés ?

Plus largement, tous les partis ont eu davantage leur mot à dire sur la concurrence depuis la flambée de l'inflation en 2022. Les conservateurs et les néo-démocrates, par exemple, se sont tous deux opposés au projet de fusion entre la Banque Royale et la HSBC, parce qu'elle réduirait la concurrence et entraînerait une hausse des taux hypothécaires.

Mais lorsqu'il s'agit des secteurs couverts par la gestion de l'offre, les inquiétudes quant à la faible concurrence dans l'économie canadienne semblent subitement s'évanouir.

Lors d'une conférence de presse, le mois dernier, le ministre de l'Industrie, François-Philippe Champagne, a réaffirmé le soutien indéfectible de son gouvernement à ce système qui «a apporté stabilité et prévisibilité à nos agriculteurs» et «a été la clé du tissu social de notre pays».

«Les Canadiens veulent que nous nous attaquions aux profits des grandes entreprises. Nous ne nous attaquons pas aux petites.»

En juin dernier, la Chambre des communes a adopté une loi qui limiterait la capacité des négociateurs commerciaux à faire des concessions sur la gestion de l'offre. Le projet de loi déposé par le Bloc québécois a été adopté avec 262 voix pour, tandis que 49 députés conservateurs et deux députés libéraux ont voté contre.

L'ancienne commissaire à la concurrence Mélanie Aitken est une critique féroce de la gestion de l'offre, qu'elle décrit comme une «vache sacrée» à Ottawa. «Si vous voulez profiter des opportunités commerciales avec vos partenaires mondiaux (…) vous devez reconnaître que vous ne pouvez pas laisser ces politiques protectionnistes incroyablement abrutissantes refuser l'accès à nos marchés», a-t-elle déclaré.

Du point de vue du coût de la vie, Mme Aitken soutient que cette réglementation des prix nuit le plus aux personnes à faible revenu. «C'est en fait un système assez régressif, qui privilégie un groupe, les agriculteurs, plutôt que tous les autres Canadiens, qui ont peut-être du mal à joindre les deux bouts et à mettre du pain sur la table.» 

Une recherche coécrite par le professeur Cardwell en 2015 a estimé que la gestion de l'offre coûtait aux ménages les plus pauvres 339 $ par année, ce qui équivaut à environ 2,3 % de leur revenu.

L'agroéconomiste estime qu'il est sain de débattre de la part de la hausse des prix qui serait attribuable à cette gestion de l'offre, mais «personne de parfaitement crédible ne prétend que les prix ne sont pas déjà plus élevés» sans ce régime.

L'article a valu aux chercheurs le prix Vanderkamp de l'Association canadienne d'économique. Les partisans de la gestion de l’offre ont toutefois contesté cette recherche et les groupes de pression nient catégoriquement que la gestion de l'offre puisse se traduire par une hausse des prix pour les consommateurs.

Prévisibilité en temps incertains 

Bruce Muirhead, professeur d'histoire à l'Université de Waterloo, est un ardent partisan de la gestion de l'offre; il occupe un poste de recherche financé par un groupe de pression des producteurs d'œufs. Il précise par ailleurs qu'il était déjà partisan du système avant d'assumer son rôle de responsable des politiques publiques au sein des Producteurs d'œufs du Canada.

«Je pense que les économistes fondent pour la plupart leurs conclusions sur l'idéologie, dit-il. On part simplement de ce genre d'hypothèse implicite: si c'est réglementé (…) alors forcément, ça ne peut pas être concurrentiel. Mais ce n'est absolument pas le cas.»

Il soutient que le secteur agricole mérite une approche différente de la part du gouvernement, parce qu'il est responsable de la production de biens essentiels: les aliments. La gestion de l’offre stimule également la durabilité rurale en protégeant les exploitations agricoles de petite taille; sans ce régime, dit-il, le Canada serait «inondé de lait américain».

Dans des déclarations à La Presse Canadienne, des groupes représentant les producteurs d'œufs et de produits laitiers ont plaidé que la gestion de l'offre offrait de la prévisibilité à une époque d'instabilité mondiale croissante.

«L'expérience de la COVID nous rappelle qu'il n'est pas judicieux de dépendre des industries ou des gouvernements étrangers pour approvisionner les Canadiens en cas de besoin», ont déclaré les Producteurs laitiers du Canada.

«Il s'agit d'une solution à l'épreuve des frontières qui est essentielle à la souveraineté alimentaire du Canada (produire suffisamment de nourriture pour nourrir les Canadiens toute l'année) et à la sécurité alimentaire de nos communautés», ont ajouté les Producteurs d'œufs du Canada.

Nojoud Al Mallees, La Presse Canadienne