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Un DJ québécois a fait l'objet de diffamation, selon un tribunal albertain

durée 15h08
12 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

CALGARY — Un artiste de musique électronique du Québec espère remettre sa carrière et sa vie sur les rails après avoir triomphé dans un procès en diffamation en Alberta, lié à des publications sur les réseaux sociaux l'accusant d'être un prédateur sexuel.

«C'était terrible. Tout cela ressemblait à un pur cauchemar et à un enfer», a confié Frederik Durand en entrevue depuis Montréal.

«Je me sentais désespéré. C'était le pire sentiment qui soit.»

L'artiste de 35 ans surnommé «Snails» a expliqué que les partages sur Instagram de la résidante californienne Michaela Higgins avaient bouleversé sa carrière et fait chuter ses revenus. M. Durand et Mme Higgins disent tous deux ne s'être jamais rencontrés.

M. Durand a déclaré qu'il se produisait entre 125 et 150 soirs par an dans des clubs de danse à travers l'Amérique du Nord avec un style musical décrit comme «vomitstep» – un mélange de gargouillis gutturaux de basse, de basses retentissantes et à basse fréquence, ainsi que de synthétiseurs.

Tout a changé début 2020, a-t-il déclaré, lorsqu'un compte Instagram appelé «@evidenceagainstsnails» a commencé à republier des allégations d'irrégularités sexuelles graves contre lui.

«Tout le matériel visait à qualifier M. Durand de prédateur criminel et sexuel qui s'est livré à des inconduites sexuelles allant de rapports sexuels non consensuels à des avances non désirées, y compris envers des mineurs», a écrit le juge Nicholas Devlin de la Cour du Banc du Roi d'Edmonton dans son jugement du 26 février. 

Le juge Devlin a noté que lorsqu'une victime présumée avait publiquement soutenu M. Durand en affirmant que l'accusation était fausse, elle avait elle-même été attaquée en ligne.

«Un objectif collatéral évident du compte Instagram était 'd'annuler' M. Durand, en taguant fréquemment (les publications pour alerter) son agent, ses producteurs et les lieux où il devait se produire», a-t-il ajouté.

Les spectacles de M. Durand en Alberta ont effectivement pris fin, ce qui a conduit à ce que l'affaire soit traitée à Edmonton.

M. Durand a déclaré qu'il avait donné environ 15 spectacles en 2023 et que ses revenus étaient passés de près de 3 millions $ en 2018 à une perte de 138 000 $ en 2022.

Au début, il ne savait pas comment riposter.

«Quand tout a commencé, c'était juste une pure confusion, a-t-il relaté. On lit des trucs sur soi-même et on se dit: "Cela n'est littéralement jamais arrivé. Ce n'est pas le bon côté de l'histoire."»

Le juge Devlin a noté que M. Durand conservait de volumineux enregistrements de données électroniques pour prouver sa thèse, tandis que Mme Higgins, tout en protestant contre le fait que l'affaire soit entendue en Alberta, n'offrait pas de défense.

Un cas de diffamation qui en cache d'autres

Selon le jugement, Mme Higgins a déclaré qu'elle avait écrit pour sensibiliser et «protéger les femmes et les filles vulnérables» dans l'industrie du DJ. Mais le juge a déclaré que la republication d’une diffamation restait de la diffamation.

«Tout le matériel publié sur le compte Instagram était de seconde ou troisième main, consistant en des rediffusions, qui elles-mêmes renvoyaient parfois à du matériel provenant d'ailleurs sur les réseaux sociaux», a expliqué le juge.

«Je n'ai aucune difficulté à conclure que le but, l'intention et l'effet du compte Instagram étaient de qualifier M. Durand de sale type et de criminel. Cela établit facilement une diffamation à première vue.»

Le juge a accordé à M. Durand 1,5 million $ et a déclaré que sa décision ne devait pas être considérée comme un reflet du mouvement «Me Too», qui s'est accéléré en 2017 alors qu'un torrent d'allégations d'inconduite sexuelle ont été lancées contre des hommes puissants du divertissement, des médias, des affaires et d'autres domaines.

«Le mouvement 'Me Too' a atteint un objectif salutaire et attendu depuis longtemps en portant la prévalence des agressions sexuelles et du harcèlement au premier plan de l'attention du public», a déclaré le juge Devlin.

L'avocate de M. Durand, établie à Edmonton, Ellery Lew, a déclaré que justice avait été rendue.

«Pour moi, c'était le bon résultat dans cette affaire, à 100%. D'après ce que j'ai pu voir (...) objectivement à partir du dossier (que M. Durand) m'a fourni. Il était convaincant qu'il était essentiellement une victime», a-t-elle soutenu lors d'un entretien.

Le juge a ajouté qu'il n'y avait probablement qu'une poignée de cas de diffamation sur internet au Canada, mais qu'il ne s'agissait probablement que de la pointe de l'iceberg.

«Ce n'est pas différent des procès de sorcières d'autrefois ou de ce dont nous entendions parler dans les régimes autoritaires où vous accusez faussement votre voisin de quelque chose simplement parce que vous avez une vendetta personnelle.»

Le tribunal a également imposé une injonction permanente contre Mme Higgins l'empêchant de publier toute déclaration suggérant que M. Durand a commis une agression sexuelle, une agression physique ou s'est comporté de manière sexuellement inappropriée.

Le jour du jugement, Mme Higgins a réitéré sur Instagram qu’il s’agissait avant tout d’assurer la sécurité des femmes, ajoutant qu’elle ne pouvait pas se permettre d’engager un avocat pour défendre cette affaire.

«Maintenant, j'ai un jugement contre moi au Canada qui, heureusement, ne me concerne pas, car c'est dans un autre pays», a-t-elle conclu, en montrant son majeur.

Et si les données informatiques ont bouleversé la vie de M. Durand, il réalise aussi qu’elles l’ont aidé à la remettre à l’endroit.

«Je n'ai jamais jeté un ordinateur de toute ma vie, jamais un téléphone, rien. J'ai des messages dès la première fois que j'ai envoyé un texto, a-t-il dit. C'est ce qui m'a sauvé la vie.»

Bill Graveland, La Presse Canadienne