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Cueillir un dernier souvenir avant de rendre son dernier souffle

durée 15h19
1 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — La table à manger de la salle commune avait été décorée d'une nappe à carreaux. La musique traditionnelle donnait de l'ambiance à l'endroit. La cerise sur le gâteau: des grands-pères dans le sirop. Des grands-pères pour grand-papa Leclerc. À l'aube de ses 75 ans, cet amoureux de la cabane à sucre a pu savourer pour une dernière fois ces mets traditionnels qui ont tant fait son bonheur tout au long de sa vie. 

Ce n'est pas M. Leclerc qui s'est rendu à la cabane; c'est la cabane à sucre qui s'est rendue à lui, à l'unité de soins palliatifs où il s'est doucement éteint, le lendemain.

André Leclerc, grand-papa de six, est l'un des premiers bénéficiaires du #ProjetThérèse, dont le lancement officiel a eu lieu mardi au CHSLD de La Prairie, en Montérégie. L'établissement est le tout premier au Québec à offrir ce service, financé par la Fondation Anna-Laberge, à ses pensionnaires en fin de vie.

Un autre résident de l'unité de 12 lits a dû faire le deuil de vivre un dernier voyage, celui où il rêvait de voir les eaux bleues du Danube avant de mourir. Le Département des moments, comme s'appelle cette petite brigade de fées marraines voulant exaucer les souhaits des patients avant leur départ, a trouvé une façon de le faire voyager: grâce à un site internet, l'homme a pu visiter différents secteurs du fleuve et imprégner sa mémoire d'images, dans le confort de sa chambre.

«Il en a même rêvé la nuit, et en a parlé aux infirmières dans les jours suivants. C'est comme si le fleuve était venu à lui et qu'il avait pu cocher ce souhait dans sa "bucket list", malgré les circonstances difficiles», s'émerveille Jean-Pier Gravel, idéateur du #ProjetThérèse et fondateur du Département des moments.

Apprivoiser le deuil

Avant d'être une inspiration pour son projet, Thérèse était surtout sa grand-maman à lui. M. Gravel se souviendra toujours de l'instant où Thérèse a rendu son dernier souffle, à La Maison du Bouleau Blanc, à Amos: le moment le plus précieux de toute sa vie, malgré sa forte charge émotive. 

Presque dix ans plus tard, M. Gravel s'était promis d'honorer et de faire vivre la mémoire de sa grand-mère en créant un moment inoubliable sur mesure, pour embellir les derniers instants d'un être sur le point de s'envoler.

Le mot d'ordre: simplicité, authenticité, amour. «Comme le temps et les moyens sont limités, on essaie de fabriquer des petits moments de bonheur à partir de ce qui a eu de l'importance pour la personne, dans sa vie, et qui pourra faire une différence à cette étape-là, explique M. Gravel. Ce n'est pas parce qu'on est en fin de vie qu'on ne peut plus accumuler de beaux souvenirs. Il n'est jamais trop tard.»

C'est ce qui s'est produit dans l'établissement d'Amos, l'été dernier, alors que le #ProjetThérèse en était encore à ses balbutiements. Madame Danielle avait confié au personnel que le plus beau moment de sa vie avait été sur un bateau de croisière dans les eaux d'Europe, un soir de pleine lune, avec son époux; un cadeau reçu pour ses noces d'argent.

En moins de vingt-quatre heures, les créateurs de moment avaient sévi: un ponton attendait la dame sur la rivière Harricana, qui coule derrière le centre. Ce jour-là de juillet, le ciel était éclairé par une super lune. L'équipe avait même déniché un tambour, l'instrument préféré de la résidente, parce qu'il rappelle le battement du cœur humain.

M. Gravel estime que ce moment mémorable a aussi pour effet de préparer les proches à vivre leur deuil. «On parle très peu de cette étape de la vie dans notre culture, déplore-t-il. On le sait, le deuil est complexe et a des répercussions différentes sur chaque individu. Alors on se dit qu'on essaie d'amener un peu plus de lumière, de douceur, dans ces moments-là parfois sombres.»

Le début de quelque chose de plus grand

L'initiative s'est implantée au CHSLD de La Prairie il y a un peu plus d'un mois. «C'est M. Gravel qui nous a approchés et aussi bien pour moi que pour mon équipe, ça a été tout de suite un coup de coeur», indique la directrice de la Fondation Anna-Laberge, Maude Daoust.

La créatrice de moments Sylvie-Léa Pérusse rencontre les patients de l'unité et leur famille chaque semaine. Grâce à un formulaire et à leurs échanges, elle recueille ainsi de précieuses informations qui serviront à créer une étincelle de joie dans le cœur et dans l'âme de ces pensionnaires.

«Ces moments de bonheur personnalisés permettent d’humaniser davantage les soins et les services de santé offerts au CHSLD de La Prairie», soulignait Judith Cailhier, présidente du conseil d’administration de la Fondation Anna-Laberge.

«Souvent, les gens pensent que les fondations servent uniquement à financer l'achat d'équipement. Avec le projet Thérèse, on vient vraiment toucher au côté humain, aux soins, ajoute-t-elle. On a dit oui sans hésiter.»

Aussi bien le ministre de la Santé, également député de La Prairie, que sa consœur déléguée à la Santé et aux Aînés ont salué le projet.

«Je suis fier de constater qu’un aussi beau projet voit le jour au CHSLD de La Prairie. Je remercie la Fondation Anna-Laberge qui s’implique dans ce projet par son approche humaine et personnalisée envers les patients en soins palliatifs et leurs familles. C’est une autre belle initiative au bénéfice de la population de notre circonscription!» a déclaré Christian Dubé.

«Ce projet ajoutera une touche de douceur aux patients de l’unité des soins palliatifs du CHSLD de La Prairie. Les moments de bonheur offerts par le Département des moments viendront assurément apaiser les patients et leurs familles durant une période plus difficile. C’est important de souligner le parcours de vie d’un être cher et ce projet remplira certainement cette mission», a pour sa part renchéri Sonia Bélanger.

Ému et fier de ces appuis, Jean-Pier Gravel souhaite que le #ProjetThérèse se multiplie à travers la province. «Entrer dans un premier CHSLD, c'est un jalon vraiment important, reconnaît-il. Pour nous, c'est un projet qu'on souhaite implanter à hauteur nationale et peut-être même plus loin, quand on sera rendus là.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l'aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.

Marie-Ève Martel, La Presse Canadienne