L'Alberta utilisera la clause dérogatoire dans sa loi sur les personnes transgenres


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Par La Presse Canadienne, 2025
EDMONTON — La première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, a demandé aux fonctionnaires d'invoquer la clause dérogatoire de la Charte pour modifier trois lois touchant les personnes transgenres, selon une note gouvernementale obtenue par La Presse Canadienne.
Le document interne, envoyé le 10 septembre par le ministère de la Justice, demande aux autres ministères de rassembler des informations, conformément à une directive du cabinet de Mme Smith, visant à invoquer cette clause.
«Comme vous le savez, le cabinet de la première ministre a demandé qu'un projet de loi soit élaboré pour la session législative d'automne afin de modifier les lois suivantes pour permettre à chacune d'elles de s'appliquer malgré la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration des droits de l'Alberta», indique la note de Malcolm Lavoie, sous-ministre de la Justice.
«Cette initiative législative est très sensible et doit être abordée avec la plus grande confidentialité.»
Le document demande aux fonctionnaires de préparer des informations contextuelles sur les implications juridiques et les autres options à envisager.
Il précise que le plan est d'informer Mme Smith à l'avance, puis de présenter la proposition au Cabinet le 21 octobre. La Chambre doit reprendre ses travaux avec le discours du Trône deux jours plus tard.
La porte-parole du ministère de la Justice, Heather Jenkins, invitée jeudi à commenter la note, a répondu par une déclaration d'une seule phrase.
«Le gouvernement de l'Alberta continuera de protéger vigoureusement la sécurité et le bien-être des enfants en utilisant tous les moyens légaux et constitutionnels à sa disposition, y compris la clause dérogatoire si notre gouvernement le juge nécessaire».
Les trois lois, présentées l'année dernière, établissent des règles pour les élèves qui changent de nom ou de pronom à l'école, interdisent aux filles transgenres de participer à des sports amateurs féminins et limitent les services de santé liés à l'affirmation de genre.
Les groupes de défense des droits des personnes trans Egale et Skipping Stone contestent la loi sur les pronoms scolaires et les règles qui limiteraient les soins de santé pour les jeunes transgenres devant les tribunaux, affirmant qu'ils sont discriminatoires.
Helen Kennedy, directrice générale d'Egale Canada, a déclaré que le recours à la clause dérogatoire constitue «une attaque inadmissible contre les personnes 2SLGBTQI et un exemple horrible de transphobie cautionnée par l'État».
«Lorsque nos gouvernements abusent de leur pouvoir en invoquant la clause dérogatoire pour limiter les protections de la Charte des droits et libertés, il ne s'agit pas seulement d'une attaque contre les communautés queer et trans, mais d'une attaque contre tous les Canadiens.»
La clause dérogatoire est une disposition rarement utilisée qui permet aux gouvernements de déroger à certains articles de la Charte pendant une période maximale de cinq ans.
La première ministre Smith a assuré qu'il s'agissait d'un outil envisagé en «dernier recours» face aux restrictions imposées par le gouvernement en matière de santé des personnes transgenres.
Mme Smith s'est également dite convaincue que la loi résisterait à une contestation fondée sur la Charte.
«Nous allons faire valoir que nous sommes raisonnables, proportionnés et fondés sur des données probantes, et nous verrons comment cela se déroulera devant les tribunaux», a-t-elle soutenu en décembre dernier.
Entre-temps, les contestations judiciaires continuent de progresser.
La loi interdisant aux médecins de fournir aux jeunes de moins de 16 ans des traitements d'affirmation de genre, tels que les bloqueurs de puberté et l'hormonothérapie, n'est pas encore en vigueur en raison d'une injonction temporaire rendue par un tribunal en juin. L'Alberta a interjeté appel de l'injonction en août.
La loi visant les écoles est entrée en vigueur au début de l'année scolaire. Elle exige que les élèves de moins de 16 ans obtiennent le consentement de leurs parents pour changer de nom ou de pronom dans les établissements scolaires. Les élèves de 16 et 17 ans n'ont pas besoin de consentement, mais leurs parents doivent en être informés.
La troisième loi, actuellement en vigueur, interdit aux athlètes transgenres de 12 ans et plus de participer à des sports amateurs féminins en Alberta. Peu après la rentrée scolaire, certaines divisions scolaires ont envoyé des formulaires d'admissibilité aux parents leur demandant de confirmer que leurs enfants avaient été assignées au sexe féminin à la naissance afin qu'elles puissent concourir dans des équipes féminines.
Plus tôt cette semaine, Mme Smith a demandé au ministre des Sports, Andrew Boitchenko, d'utiliser tous les moyens légaux et constitutionnels nécessaires pour garantir la pleine application de la loi.
L'Alberta n'est pas seule
Le gouvernement du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a utilisé la clause dérogatoire en 2023 dans sa propre loi sur les pronoms à l'école, qui est également contestée.
Le mois dernier, un tribunal de la Saskatchewan a statué que la clause dérogatoire l'empêchait d'invalider cette loi. Toutefois, les juges ont déclaré que le recours à la clause ne les empêchait pas de rendre un jugement déclaratoire sur la question de savoir si la loi violait les droits constitutionnels.
Plus tôt cette semaine, l'Alberta a également déposé des arguments devant la Cour suprême du Canada concernant la loi québécoise sur la laïcité. Cette loi interdit aux fonctionnaires en situation d'autorité, notamment les enseignants et les juges, de porter des symboles religieux au travail.
L'Alberta soutient le Québec. Elle a déclaré que la clause dérogatoire était un «compromis durement acquis» lors des négociations constitutionnelles et qu'elle préservait la souveraineté parlementaire des provinces.
Le premier ministre Mark Carney s'est dit opposé au recours préventif à la clause dérogatoire.
Lisa Johnson et Jack Farrell, La Presse Canadienne