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La Fondation Émergence s'attaque aux thérapies de conversion

durée 11h00
11 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Son adolescence durant, Sandra Carbone a prié tous les saints. Elle souhaitait être «guérie» de son homosexualité: c'est que son père, un pasteur, prêchait à son église et à la télévision être capable de «soigner» les gais par la prière. «À l'âge adulte, j'ai fini par comprendre qu'il n'y avait rien à guérir», témoigne la Montréalaise à propos de ce douloureux apprentissage.

Bien qu'illégales, les thérapies de conversion ont toujours cours au Québec, «déguisées et cachées sous le couvert de soins médicaux et de santé mentale, ou derrière des autorités religieuses», allègue la Fondation Émergence, à l'origine de la campagne «Pour en finir avec les thérapies de conversion». Elle rappelle qu'encore très récemment, les personnes homosexuelles ou transgenres étaient considérées comme souffrant d'une maladie mentale.

Le Canada s'est doté, à la fin de 2021, d'une loi criminalisant les thérapies de conversion, qui visent à changer l'orientation sexuelle d'une personne qui n'est pas hétérosexuelle ou pour rendre cisgenre une personne qui s'identifie comme étant trans, c'est-à-dire que son expression de genre ne correspond pas au sexe qui lui a été attribué à la naissance. Le Québec, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince Édouard ont aussi légiféré en la matière.

«Malheureusement, la loi n'est pas rétroactive, se désole Julien Rougerie, chargé de programme à la fondation. Donc il n'y a que les thérapies qui ont eu lieu depuis janvier 2022 qui peuvent être dénoncées au criminel. Les gens qui en ont vécu avant n'ont pas de recours de ce côté-là.»

Selon des données recensées dans le cadre du projet de recherche partenariale SAVIE-LGBTQ, le plus important de son genre au Québec, 25 % des membres de la communauté LGBTQ2+ auraient subi des efforts de conversion au cours de leur vie, que ce soit une thérapie ou simplement d'avoir été la cible de commentaires les invitant à adopter une identité, une orientation ou une expression sexuelle jugée «traditionnelle». 

Et pourtant, près d'une personne sur deux qui subit un quelconque traitement de conversion amorce le processus de son plein gré, souligne le sexologue Martin Blais, codirecteur du projet de recherche partenariale SAVIE-LGBTQ. «Elles consentent à ces pratiques sans trop savoir ce que ça implique, mais elles le font pour plaire à leur entourage, et surtout, pour aller mieux, explique-t-il. Le problème, c’est qu’on leur fait associer le fait d’aller mieux au fait de nier ce qu’ils ressentent et qui ils sont.»

«Pour beaucoup de personnes LGBT, il se passe une phase de déni, de honte, de rejet, renchérit M. Rougerie. À ce moment-là, une thérapie de conversion peut être séduisante. On se dit qu'il y a peut-être quelqu'un qui peut corriger cet aspect de moi que je ne respecte pas.»

Choisir le bonheur

Sandra Carbone, qui témoigne publiquement de son vécu dans le cadre de la campagne, le fait pour dénoncer toute la souffrance qui est infligée à quelqu'un qui ne correspond pas à ce qu'on attend de lui ou elle.

«J'ai vu tout le tort que ça m'a fait, que ça a fait aux gens de la communauté qui venaient à l'église chercher du réconfort, pour finalement se faire montrer la porte. On est bienvenus à revenir, mais seulement si on devient hétérosexuels», relate celle qui aujourd'hui a deux enfants avec sa partenaire.

Le jour où elle a annoncé à ses proches qu'elle était homosexuelle, Mme Carbone a perdu tout contact avec eux. Des années plus tard, elle en souffre toujours, bien qu'elle ait compris qu'il n'y avait rien de malsain ou d'anormal en elle.

«Quand tout ton environnement est organisé pour te faire douter de toi, quand on te reproche d'avoir choisi ton homosexualité, ce que je n'ai pas choisi... Un jour, j'ai choisi d'être heureuse», raconte la survivante.

Des conséquences

Les thérapies de conversion ont souvent l'air de thérapies tout à fait normales et c'est ce qui les rend pernicieuses, souligne Martin Blais. «Elles sont difficiles à détecter parce qu'elles s'appuient sur des techniques d'accompagnement médical, pharmacologique, psychologique ou spirituel, explique-t-elle. Mais elles en détournent la pratique à des fins destructrices pour les personnes qui les subissent.»

Le sexologue n'hésite d'ailleurs pas à qualifier les victimes de thérapies de conversion de «survivants» en raison des impacts négatifs et à long terme de ces pratiques qui, selon lui, visent à «détruire leur vision d'elles-mêmes» pour répondre aux attentes de leur entourage.

Ces pratiques entraînent de lourdes conséquences chez ceux qui les subissent: troubles anxieux, stress post-traumatique, difficultés relationnelles et sexuelles, comportements autodestructeurs, idées suicidaires ou dépendances, entre autres.

«Sans un soutien thérapeutique affirmatif adéquat, les survivants des thérapies de conversion s'exposent à de nombreuses difficultés, en plus d'entretenir une faible estime d'eux-mêmes», mentionne le Dr Blais.

Celui qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l'UQAM indique que des études récentes ont établi que sans soins pour traiter les répercussions de ces thérapies, la vie des victimes peut être écourtée en moyenne d'un an et demi.

Campagne

La campagne de la Fondation Émergence va servir à accroître les connaissances du public sur les thérapies de conversion et leurs conséquences, mais aussi à soutenir le réseau des victimes et outiller les milieux d’intervention et d’éducation pour les reconnaître, les prévenir et les arrêter. L'initiative est financée par le Bureau de lutte contre l'homophobie et la transphobie du gouvernement du Québec et par le ministère canadien de la Justice.

Les organismes Éducaloi, Justice Pro Bono et la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres ont pour leur part contribué à réaliser la campagne, qui inclut un dépliant informatif, un témoignage sous forme de court-métrage, une série en baladodiffusion de quatre épisodes ainsi qu'une formation préparée à l'attention du réseau de la santé et des services sociaux, du réseau de l'éducation et des services de police. 

«On trouve important de former les gens pour les sensibiliser à repérer les thérapies de conversion, souligne M. Rougerie. Ce n'est pas toujours une séance de thérapie, ça peut être un médecin qui tente de décourager un patient trans de réaffirmer son genre. Pour dénoncer, les gens doivent être conscients que c'est criminel.»

Éducaloi rappelle sur son site internet qu'il est possible de dénoncer toute thérapie illégale de conversion sexuelle auprès d'un service de police ou d'un ordre professionnel auquel serait rattaché une personne qui en réalise. Il est aussi possible de déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, de même que de demander une indemnité au Programme d'indemnisation des victimes d'acte criminel (IVAC).

Dans le monde, plus d'une vingtaine de pays ont adopté une législation similaire pour bannir toute pratique de conversion sexuelle.

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Cette dépêche a été rédigée avec l'aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.

Marie-Ève Martel, La Presse Canadienne