Loi C-63
Seuls les discours de haine en ligne extrêmes pourraient passer devant un tribunal
Par La Presse Canadienne
Les responsables gouvernementaux affirment que les discours de haine en ligne devraient présenter un groupe comme «intrinsèquement violent» ou «inhumain» pour atteindre le seuil d'enquête d'un tribunal des droits de la personne en vertu d'une nouvelle loi proposée.
Les responsables de la justice ont informé les journalistes mercredi des dispositions du Code criminel contenues dans le nouveau projet de loi du gouvernement visant à lutter contre les méfaits en ligne, connu sous le nom de projet de loi C-63.
Les changements ont fait l’objet de vives critiques de la part des groupes de défense des libertés civiles et des experts juridiques qui expriment leurs inquiétudes quant au frein potentiel à la liberté d’expression.
Ils surviennent également après que les libéraux ont reçu d’importantes critiques – en particulier de la part des conservateurs de l’opposition – sur d’autres lois visant à réglementer les géants de la technologie pour leurs plateformes de diffusion en continu et leur utilisation du contenu d’actualité.
Le projet de loi C-63, également connu sous le nom de Loi sur les préjudices en ligne, vise à introduire des sanctions plus sévères pour les infractions existantes. Il permettrait des peines allant jusqu'à cinq ans de prison pour propagande haineuse, contre deux ans actuellement. Cela permettrait également à un juge d’imposer la prison à vie pour quiconque ayant prôné le génocide.
De telles mesures sont «draconiennes», a prévenu l'Association canadienne des libertés civiles, ajoutant qu'elles pourraient étouffer le discours public, notamment en «criminalisant l'activisme politique».
Antisémitisme et islamophobie au centre des débats
La législation survient au milieu d’un débat, suscité par la guerre entre Israël et le Hamas, sur ce qui constitue un discours haineux par rapport à la liberté d’expression et sur ce qui devrait être considéré comme le seuil en ce qui a trait à l'incitation au génocide.
Des militants du Hamas ont tué 1200 personnes et en ont pris 250 autres en otages lors d'une attaque dans le sud d'Israël le 7 octobre. Israël a riposté dans une guerre qui a tué plus de 30 000 Palestiniens, selon des responsables de la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas.
Au milieu de manifestations généralisées au Canada et à l’étranger, les défenseurs ont tiré la sonnette d’alarme sur les attaques motivées par la haine contre les juifs et les musulmans.
Les groupes de défense juifs ont appelé à davantage d’intervention policière, affirmant que les manifestants avaient adopté un comportement antisémite et haineux.
Les manifestants propalestiniens ont quant à eux déclaré qu’ils se sentaient vilipendés et les organisations musulmanes ont fait part de leurs inquiétudes quant à la censure de personnes en raison de leurs commentaires sur la guerre.
Les responsables de la justice, qui se sont entretenus avec les journalistes à condition de ne pas être nommés, ont souligné qu'un seuil élevé devrait être atteint pour qu'un tribunal puisse condamner quelqu'un pour avoir prôné le génocide.
Non seulement un procureur général provincial doit approuver une telle accusation, mais un juge doit également être convaincu qu'un individu «cherche directement à inciter ou à provoquer d'autres personnes à commettre un génocide».
Un slogan entendu lors de certaines manifestations depuis la guerre – «Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre» – a été au centre du débat sur la limite en matière de discours de haine.
Certains groupes juifs ont déclaré que cela appelait à la destruction d’Israël, situé entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée, et devrait donc être considéré comme un discours de haine ou un appel au génocide.
Les manifestants palestiniens et d’autres partisans ont déclaré qu’il s’agissait simplement d’un appel à la liberté et à l’égalité.
L'automne dernier, un homme dont l'avocat affirmait qu'il avait scandé cette phrase a été accusé à Calgary de troubles motivés par la haine. L’accusation a finalement été suspendue.
Redéfinir le discours de haine
L'objectif principal du projet de loi du gouvernement libéral est de lutter contre la haine en ligne en introduisant un nouveau régulateur pour les entreprises de médias sociaux.
Mais il propose également de réintroduire un article de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui permettrait aux gens de déposer des plaintes contre ceux qui publient des discours haineux en ligne.
Les responsables ont déclaré que le projet de loi comprend une version améliorée du langage qui a été supprimé sous l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Connue sous le nom d'article 13, la version originale avait suscité des inquiétudes de la part des critiques, y compris des députés conservateurs, quant à son impact potentiel sur le droit à la liberté d'expression.
Il définit le discours de haine comme tout «susceptible d'exposer une ou plusieurs personnes à la haine ou au mépris» sur la base de leur race, de leur sexe, de leur religion ou de tout autre motif de discrimination interdit.
Tant dans sa législation sur les droits de la personne que dans le Code criminel, le gouvernement cherche désormais à définir le discours haineux comme «un contenu qui exprime la haine ou la diffamation».
En vertu de la loi proposée, un individu ou un groupe pourrait déposer une plainte pour discours haineux en ligne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.
Les responsables ont déclaré que la commission examinerait les plaintes infondées et transmettrait les plaintes légitimes à un tribunal.
Les mesures correctives pourraient consister à ordonner à l'auteur de l'infraction de supprimer sa publication ou de verser à la victime jusqu'à 20 000 $ de dommages et intérêts, une amende qui passerait à 50 000 $ s'il refuse de se conformer aux sanctions, ont indiqué des responsables du ministère.
Les discours considérés comme dignes d'action incluent tout ce qui «dépeint des groupes comme étant intrinsèquement violents, inhumains et méritant d'être exécutés ou bannis», a déclaré un responsable.
Cela n'inclut pas les contenus qui critiquent ou rabaissent un groupe et qui portent atteinte à sa dignité par le biais de plaisanteries, de moqueries ou d'insultes. Un contenu qui plaide en faveur de la suppression des droits d'un groupe ne répondrait pas non plus aux critères de «détestation ou diffamation», a détaillé le responsable.
Stephanie Taylor, La Presse Canadienne
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