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Hausse des cas

Les médecins souhaitent «rééliminer» la rougeole en luttant contre la désinformation

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15 mars 2024
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Par La Presse Canadienne

Alors que l'on connaît une hausse inquiétante des cas de rougeole, un médecin de Toronto se souvient de cette petite fille devenue aveugle, sans capacité de communiquer et incontinente après avoir contracté le virus.

Le docteur Barry Goldlist était étudiant en médecine, en 1973, lorsqu'il a vu cette fille d'une dizaine d'années, à l'Hôpital pour enfants de Toronto. La jeune fille avait développé une panencéphalite sclérosante subaiguë (PSS), une maladie rare et mortelle du système nerveux qui frappe généralement les personnes infectées par la rougeole avant leur deuxième anniversaire.

«C'était horrible de voir cette fillette en état de mort cérébrale. Elle est finalement morte dans cet hôpital», se souvient le docteur Goldlist.

«On nous disait qu'une personne sur 1000 qui contracte la rougeole développait une complication grave et qu'une sur 10 000 pouvait en mourir. On se dit que c'est assez rare, mais des millions d'enfants l'ont contractée avant la [campagne de] vaccination. Ainsi, même si le pourcentage était faible, les chiffres absolus, eux, étaient considérables.»

Avant l'introduction du vaccin contre la rougeole au Canada en 1963, ces infections étaient courantes parce que le virus provoque l'une des maladies les plus contagieuses. Le docteur Goldlist souligne que beaucoup de ses collègues ont récemment évoqué leurs expériences lorsqu'ils étaient enfants. Par exemple, sa belle-sœur, qui s'est rappelé une éruption cutanée de rougeole sur tout le corps lorsqu'elle était enfant d'âge préscolaire.

«Même si elle portait un pyjama en flanelle douce, elle ne pouvait pas le boutonner, car ça lui faisait trop mal quand il touchait sa peau», a raconté le docteur Goldlist.

Le médecin connaît également une femme d'une cinquantaine d'années qui a vécu avec des lésions cérébrales après avoir été infectée par la rougeole à l'âge de trois ans, ce qui l'a empêchée plus tard de conserver un emploi.

Désinformation et mésinformation 

Lui et d'autres professionnels de la santé s'inquiètent du fait que les mythes et la désinformation sur les vaccins infantiles de routine pourraient rendre de nombreux enfants vulnérables aux maladies infectieuses évitables, dans le cadre de ce qui est devenu un enjeu très émotif. Ils affirment que le fait que les gens n’aient pas vu les souffrances et les ravages causés par la rougeole, ou ne s’en souviennent pas, a également contribué à une certaine indifférence, ou une insouciance, à l’égard de la vaccination.

Bien que la rougeole ait été déclarée «éliminée» au Canada en 1998, après l'adoption d'un calendrier de vaccination à deux doses, des poches d'éclosions se sont produites dans certaines communautés peu ou pas vaccinées, parfois liées à des croyances religieuses ainsi qu'aux voyages dans des pays où les programmes de vaccination ne sont pas aussi robustes.

Par ailleurs, les doses de vaccination contre la rougeole qui auraient été ratées ou reportées pendant la pandémie de COVID-19 ont entraîné une augmentation des cas dans le monde entier, mais les convictions antivaccination, partagées dans les groupes de parents en ligne et ailleurs, avaient commencé à gagner des appuis bien avant cette date.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis ont déclaré dans un communiqué conjoint à la fin de l'année dernière que l'augmentation des éclosions de rougeole et des décès dans de nombreux pays était «stupéfiante», mais pas inattendue étant donné la baisse des taux de vaccination. Dans les pays à faible revenu, où le risque de décès par rougeole est le plus élevé, les taux de vaccination ne sont que de 66 % à cause des perturbations survenues lors de la pandémie de COVID-19, a indiqué l'OMS.

L'Agence de la santé publique du Canada a déclaré de son côté que l'Enquête nationale de 2021 sur la couverture vaccinale des enfants montre que 91,6 % des jeunes de deux ans ont reçu au moins une dose d'un vaccin contre la rougeole. Mais un peu plus de 79 % des enfants âgés de sept ans ont reçu les deux doses.

Le Canada s'est fixé un objectif de couverture de 95 % pour tous les vaccins infantiles recommandés d'ici 2025.

L'Agence de la santé publique du Canada déclarait mercredi qu'on avait signalé depuis le début de l'année 29 cas de rougeole dans au moins quatre provinces: le Québec (19), l'Ontario, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan. 

Ces cas étaient principalement liés à des voyages, mais incluaient des cas sans lien avec des déplacements ou d'autres infections, suscitant des inquiétudes quant à une éventuelle propagation dans la communauté.

«Immunité collective», allaitement

La docteure Janice Heard, pédiatre communautaire à Calgary, explique que certains parents choisissent de ne pas faire vacciner leurs enfants, ou hésitent à le faire, parce qu'ils croient les mythes selon lesquels la rougeole ou d'autres maladies n'existent plus, ne sont «pas si graves», ou que l'allaitement protège les bébés de l'infection.

«Je ne pense pas que les gens se rendent compte que ces maladies que nous prévenons grâce aux vaccins destinés aux enfants et aux rappels destinés aux adultes mettent la vie de nombreuses personnes en danger et qu'elles peuvent entraîner de nombreuses conséquences à long terme», a déclaré la docteure Heard, qui est aussi membre du comité consultatif de l'éducation du public à la Société canadienne de pédiatrie.

«Dix pour cent des enfants qui contractent la rougeole auront des complications — et ce ne sont pas de petites complications: on parle de choses comme des convulsions, une pneumonie et des lésions cérébrales à long terme qui ne disparaissent jamais.»

L'allaitement fournit une petite dose d'anticorps et est encouragé, mais un bébé exposé à des maladies potentiellement mortelles, comme la coqueluche, ne sera pas protégé, a rappelé la docteure Heard. Les vaccins stimulent le système immunitaire de l'enfant pour qu'il fournisse lui-même des anticorps et développe une immunité contre les maladies, a-t-elle ajouté.

Certains parents pensent que leurs enfants seront protégés parce que d’autres ont été vaccinés, rappelle la docteure Heard. «Or, il faut un pourcentage très élevé de personnes vaccinées, plus de 90 %, pour conférer une immunité collective à la population qui n'est pas vaccinée. 

«Et il y a certaines maladies pour lesquelles l'immunité collective ne fonctionne pas, mais les gens n'y pensent pas, comme le tétanos par exemple. Si vous n'êtes pas vacciné, vous n'êtes pas protégé», a-t-elle souligné à propos de cette infection causée par des bactéries couramment présentes dans le sol, et qui peuvent pénétrer dans l'organisme par une blessure ou une coupure.

Pour la docteure Heard, donc, il est important que la profession médicale s'attaque à la désinformation et à l'«hésitation vaccinale», un parent à la fois, grâce à l'éducation et à une approche sans jugement.

Des médecins qui sont aussi des parents

La docteure Cora Constantinescu, spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques à l'Hôpital pour enfants de l'Alberta à Calgary, comprend très bien les craintes qu'éprouvent certains parents à l'égard de la vaccination systématique de leurs enfants.

Quand est venu le temps de faire vacciner son fils de presque un an contre le trio rougeole-oreillons-rubéole, elle a hésité, car elle se demandait si cela pourrait être risqué.

Car Mme Constantinescu travaillait à l'époque pour l'Agence de la santé publique du Canada et elle examinait les «événements indésirables», relativement rares, liés à la vaccination. Son fils avait déjà reçu des doses de routine à l'âge de deux, quatre et six mois, parce qu'elle était alors convaincue qu'il s'agissait d'interventions essentielles.

«Mais tout d'un coup, j'ai commencé à remettre en question la validité et l'importance de ces vaccins. Et j'ai commencé à m'inquiéter des effets secondaires potentiels», admet la docteure Constantinescu, dont le fils a aujourd'hui 12 ans.

«J'étais une ardente partisane de la vaccination, puis j'ai eu mon premier enfant et j'ai réalisé que même moi, j'avais besoin d'aide et de soutien. Je me demandais simplement: 'Mon enfant, qui, d'une manière ou d'une autre, ne contractera jamais la maladie, va-t-il être cette exception?'».

Elle a finalement fait vacciner son fils – et ses deux plus jeunes enfants – contre la rougeole. Son expérience de «parent préoccupé» a conduit à la création d'une «clinique d'hésitation vaccinale» en 2016, à l'hôpital de Calgary, où on écoute les craintes des parents et instaure un sentiment de confiance.

Les parents souhaitent l'intérêt de l'enfant

De nombreux parents qui sont hésitants face à la vaccination changent d'avis lorsqu'ils reçoivent un soutien, explique la docteure Constantinescu - même ceux dont les anxiétés sont dues à la désinformation.

«J'ai un certain nombre de parents qui ont commencé avec un ou deux vaccins, puis se sont sentis plus à l'aise et ont mis leurs enfants 'à jour'. C'est un long processus et il faut de la patience», a-t-elle souligné.

«Ça me brise un peu le cœur: presque tous les patients qui viennent vivent un rendez-vous très émouvant et ils disent tous: 'Je ne suis pas un anti-vaccin. Je veux aider mon enfant'. Pour moi, ce sont les parents qui ont le plus besoin de nous, car ils s'efforcent vraiment de faire les bons choix.»

Alors que la rougeole se propage dans plusieurs pays, la docteure Constantinescu estime qu'il est important de tirer les leçons de la pandémie en faisant appel, pour parler aux parents, à des «champions du vaccin», notamment des leaders religieux ou des aînés – comme l'ont fait de nombreuses communautés autochtones.

Elle admet que les professionnels de la santé demeurent une source d’information fiable et doivent communiquer la menace d’une maladie à une personne ou une famille en particulier, au lieu de se concentrer sur la responsabilité collective.

«L'altruisme, c'est bien, mais la réalité, c'est que les parents prennent des décisions qui sont avant tout dans l'intérêt de leur enfant, explique-t-elle. Je crains de perdre la majorité silencieuse des gens qui sont pour les vaccins et qui auraient de toute façon fait vacciner leurs enfants. Et je pense que nous devons le souligner en ce qui concerne le calendrier de vaccination de routine.

«Il ne s'agit pas seulement de corriger des informations erronées: si c'était le cas, on l'aurait fait. Il faut d'abord montrer son soutien, instaurer la confiance, et ensuite donner un peu d'informations.»

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Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.

Camille Bains, La Presse Canadienne

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