Des atouts, mais aussi des dangers
Prévention du suicide: gare aux outils numériques et à l'IA
Par La Presse Canadienne
Les personnes qui ont des pensées suicidaires vont, dans une même recherche sur le web, tenter de trouver de l'aide et parallèlement, essayer de trouver des moyens de s'enlever la vie. Ainsi, les outils numériques et l'intelligence artificielle (IA) présentent à la fois des atouts et des dangers en matière de prévention du suicide.
«Quand on est rendu à chercher de l'aide sur internet plutôt que dans son entourage, c'est soit qu'on n'a pas vraiment d'accès à des ressources dans notre entourage ou soit que notre situation s'est détériorée au point qu'on se tourne vers internet pour chercher de l'aide», expose Louis-Philippe Côté, chercheur affilié au Centre de recherche et d'intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE).
Il a expliqué comment les technologies numériques peuvent repérer et intervenir en matière de prévention du suicide dans le cadre de la deuxième édition de la Journée annuelle en santé mentale numérique, qui s'est tenue lundi, et qui est organisée par le Centre d'expertise en technologie de l'information en santé mentale, dépendance et itinérance (CETI-SMDI) du CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal.
Cécile Bardon, professeure de psychologie à l'UQAM qui a également donné une conférence lors de l'événement, précise que le sentiment de vouloir vivre et mourir en même temps ne s'exprime pas seulement sur le web. «Dans la vraie vie, on le voit aussi beaucoup. Il y a des gens qui vont faire une tentative de suicide et appeler du secours en même temps. Les deux sont présents en même temps et la job de l'intervention, c'est de faire en sorte que le désir de vivre devienne de plus en plus important dans les pensées et les émotions de la personne de façon à ce que la personne s'engage vers des ressources et vers quelque chose pour l'aider à aller mieux», explique-t-elle en entrevue.
Les informations sur le suicide, telles que des méthodes pour s'enlever la vie, sont qualifiées par des chercheurs de contenu «pro-suicide». Ce genre d'information contribue à augmenter le risque suicidaire, a souligné lors de sa conférence M. Côté, également codirecteur scientifique intérimaire au CETI-SMDI.
Il n'est pas clair si l'accès à ce contenu est simple. Certaines études indiquent que trouver ce genre d'information est facile, mais d'autres études disent le contraire. «L'idée qu'il faut garder en tête, c'est que qui veut trouver, va trouver», prévient M. Côté.
L'exemple des jeux vidéo
Mme Bardon, également directrice associée au CRISE, estime qu'il y a «un très beau potentiel» pour rendre les interventions plus efficaces, à condition de s'en servir correctement. «Quand sur les réseaux, les gens trouvent de l'information sur des méthodes de suicide, c'est une mauvaise utilisation. Quand on utilise des outils d'autogestion pour pallier au manque de ressources et qu'on abandonne des gens à se gérer tout seul avec des ressources en ligne, c'est une mauvaise utilisation», déplore-t-elle.
L'un des bons usages des technologies numériques est dans l'implication des intervenants sur les clavardages de jeux vidéo. Sur certaines plateformes populaires, comme Twitch, des intervenants vont publier dans les différents canaux de clavardage pour faire savoir aux utilisateurs — surtout des jeunes — qu'ils sont disponibles, et ils vont interagir avec eux.
«Au début, on pensait que développer des outils numériques ça allait être parfait pour rejoindre les hommes, étant donné que souvent les hommes ont plus peur de se montrer vulnérables, de se confier, etc. On se disait que le sentiment d'anonymat qu'allait donner l'écran allait aider à surmonter cet obstacle, mais, dans la réalité, on se rend compte que les grands consommateurs des outils d'intervention numérique, c'est beaucoup les femmes», pointe M. Côté.
Le rôle des hébergeurs web
Pour aider une personne en crise, il faut d'abord repérer les risques suicidaires. Il faut ensuite faire une évaluation, puis appliquer un plan de traitement. Au cours de leur vie, la plupart des gens vont vivre plus d'une période avec des idées suicidaires. Il est donc important d'avoir une gestion d'après crise et de travailler à réduire les récurrences.
Selon Cécile Bardon, l'étape du triage, qui se fait notamment par des algorithmes décisionnels sur des sites comme suicide.ca, est efficace. Cela permet de placer une personne en priorité, si son état le requiert. «Le repérage, c'est quelque chose sur lequel on commence à être pas mal, mais le repérage, ce n'est pas tout. Il faut qu'il soit suivi d'une vraie évaluation des besoins et une vraie prise en charge. Ça, pour l'instant, on n'a pas encore développé des outils généralisés pour faire ces étapes», détaille la chercheuse.
Elle assure toutefois qu'il y a du potentiel. «Il y a des outils d'intelligence artificielle qui sont développés en ce moment pour analyser les composantes non verbales du langage. Par exemple, tout ce qui est en lien avec l'énergie dans la voix, l'hésitation dans les mots, des choses comme ça qui peuvent être associées à des états affectifs de dépression et de l'affaissement émotionnel. [...] Mais ça, ce n'est pas des outils qu'on est prêt à généraliser du tout, mais des développements comme ça peuvent être intéressants», spécifie Mme Bardon.
Pour M. Côté, il faut réduire l'accès aux méthodes de suicide pour pouvoir agir en prévention. «Si on l'applique aux technologies numériques, ça se traduit par plusieurs actions. La première, c'est toutes les législations qui entourent l'interdiction de faire de la promotion du suicide sur internet. Il faut que les États votent des lois pour interdire la promotion du suicide sur internet», dit-il. Or, cela peut être compliqué, notamment parce que les sites web sont hébergés dans de nombreux pays, et il n'est pas possible de faire appliquer les lois d'un pays partout.
M. Côté croit cependant qui si les hébergeurs de sites web évaluaient que d'avoir du contenu «pro-suicide» avait un prix trop élevé à payer, par exemple en termes de réputation, ils seraient capables de faire changer les choses.
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Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles en tout temps au 1 866 APPELLE (1 866 277-3553), par texto (535353) ou par clavardage à suicide.ca.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne
